Portrait de pro : Natacha Couvert-Tarnowka

Emploi

"La fonction documentaire est considérée comme importante dans un cabinet juridique américain."

Natacha Couvert-Tarnowka est documentaliste juridique (Cabinet Bryan Cave LLP)
 

Je suis documentaliste juridique dans un cabinet d'avocats. En décembre 2008, j'ai suivi une équipe d'avocats qui venait de créer un bureau parisien pour le compte du cabinet américain Bryan Cave LLP.
 

Fondé en 1873, son siège social se trouve à Saint-Louis dans le Missouri. Le cabinet compte 29 bureaux dans le monde et environ 1 200 avocats. Actuellement, le bureau parisien est petit puisqu'il est composé de seulement trois associés et cinq collaborateurs. Je faisais partie du « package » : ça fait partie de l'esprit américain d'intégrer dans une équipe une « librarian ». Mais je savais aussi que je devrais assumer d'autres fonctions que je vais vous décrire.

Je cumule donc quatre fonctions : documentaliste juridique, knowledge manager, para-legal et records manager.
 

En tant que documentaliste juridique, j'alimente la bibliothèque en fonction des besoins des avocats et de leur spécialité ; j'assure la gestion classique (abonnement aux revues, mises à jour, achat et catalogage des ouvrages, etc.) mais je m'occupe aussi du budget, des négociations commerciales, du choix des contrats, des choix des bases de données au sein du cabinet. Par tradition, le cabinet d'avocats est théoriquement papier et il est souvent difficile de faire admettre l'utilisation des banques de données ! Du fait de la crise, nous ne pouvions nous permettre d'avoir des doublons entre le papier et le support électronique : le cabinet a donc opté pour les bases de données.

Parmi les bases de données juridiques auxquelles nous sommes abonnés, je veux particulièrement mentionner HeinOnline, base de données américaine spécialisée en droit qui recueille des articles, de la doctrine, de la jurisprudence de tous les Etats-Unis mais aussi de l'Angleterre. On peut même trouver du droit français ! Imaginez que tous les éditeurs juridiques français se mettent ensemble pour créer une base de données unique... Un rêve !

Je dois également former les stagiaires et les avocats à l'interrogation de ces banques de données et j'organise donc régulièrement des formations. Nous avons un soutien fort de la part de la direction américaine qui, à travers des réunions mensuelles, nous informe des projets, des nouveaux produits et services à notre disposition. L'intranet étant piloté des Etats-Unis, j'ai juste à y intégrer la page Documentation où j'informe sur nos ressources, puisque des collègues français travaillent aux Etats-Unis. Je trouve cet intranet intéressant, avec notamment son blog où les documentalistes signalent par exemple un article pertinent, où l'on peut consulter la liste des banques de données accessibles à tous... L'objectif étant que chacun puisse créer sa propre page pour partager ses informations et que le cabinet conserve une dimension humaine.
 

La gestion des connaissances a toujours été un élément important pour l'un de nos associés qui a accumulé les modèles de contrats pour le cabinet depuis les années 80. Actuellement, j'ai à ma charge plus de 80 classeurs (modèles de contrats en français, en anglais) que j'alimente en fonction des affaires, qui touchent des thèmes très variés dans un petit cabinet. La gestion des connaissances, c'est aussi les formations et les colloques auxquels assistent les avocats, qui partagent ensuite leurs connaissances avec leurs collègues. Il y a une grande notion de partage au sein du cabinet.
 

Ma troisième fonction concerne le para-legal mais pas dans le sens para-juridique. En fait, les Américains ont une pratique particulière : ils facturent le travail documentaire (travail de recherche, achat d'ouvrages par exemple) au client en plus du travail de l'avocat. Ce qui donne une légitimité au travail du documentaliste. Je fais aussi beaucoup de veille jurisprudentielle et réglementaire, ainsi que de la veille sur les sociétés internationales à travers ce qu'en dit la presse. D'ailleurs, une réflexion importante est menée par la direction américaine sur l'intelligence économique.
 

Ma quatrième fonction, records manager ou archiviste, consiste à classer des documents relatifs à une affaire (emails, contrats, recherches, documents importants). Je me rends ainsi mieux compte de ce que devient mon travail, comment il est utilisé. Cela permet aussi de mieux comprendre le processus d'une affaire, et de suivre la progression du contentieux. Un logiciel spécifique permet aux 29 bureaux de consulter tout ce qui est archivé : LegalKey.
 

Les qualités pour exercer ce métier sont la curiosité et la persévérance. Un travail à effectuer pour un avocat, c'est toujours pour la veille et jamais pour le lendemain ! Il faut aussi être doté d'un sens important de l'organisation et être structuré pour répondre aux nombreuses questions des avocats. La bibliothèque doit être très à jour et à la pointe de l'actualité juridique. Beaucoup de diplomatie, de souplesse et de compréhension devant les réticences des uns et des autres. Les outils en ligne sont indispensables et il faut évidemment parler anglais dans un tel contexte cosmopolite.
 

Il y a des perspectives pour les documentalistes dans ce secteur. Je l'ai déjà mentionné, la fonction documentaire est considérée comme importante dans un cabinet juridique américain. La vision est totalement différente par rapport à celle d'un cabinet français par exemple. On peut se créer ses propres fonctions et avoir des initiatives. Je peux dire que j'adore mon métier, je ne me suis jamais ennuyée !
 


Rédigé par ADBS
Publication le 9 avril 2010 - Mise à jour le 19 mai 2010