Portrait de pro : Anny Maximin

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"Il ne faut pas oublier que le monde de l'édition juridique française est fragile car c'est un marché franco-français restreint, proie potentielle d'éditeurs étrangers et ils ne sont pas nombreux."


Anny Maximin est conservateur en chef de la Bibliothèque Cujas. L'accent dans cette interview n'a été mis que sur son activité de négociatricepour le réseau Couperin.
 

Quand avez-vous commencé vos activités dans le cadre du consortium Couperin ?

Je négociais déjà depuis quelques années avec des éditeurs juridiques avant de faire partie de ce réseau. En fait, je travaillais depuis près de vingt ans avec les producteurs de bases de données. En 1999, à la demande et avec l'appui de la sous-direction des bibliothèques du ministère de l'éducation, j'ai été amenée à négocier, au titre de la Bibliothèque Cujas, avec des représentants de quelques bibliothèques, pour l'ensemble des bibliothèques universitaires de droit. Ce n'est qu'en février 2003 que le consortium juridique, ainsi piloté, est entré au bureau professionnel de Couperin pour s'occuper de la section Droit, à côté des collègues responsables des sections en sciences humaines, sciences sociales et sciences économiques.
 

Pourquoi vous a-t-on désignée ?

Sans doute parce que je connaissais les éditeurs juridiques depuis l'apparition des toutes premières bases de données mais également parce que je maîtrisais le domaine juridique et les outils. Bien sûr, les négociations avec les éditeurs pour les bibliothèques en 1999 ont dû aussi jouer un rôle ainsi que l'appui de la sous-direction des bibliothèques qui avait donné un poids politique important aux négociations que nous avions menées.
 

Comment avez-vous abordé vos premières négociations ?

En 1999, lors des négociations pour un produit en ligne avec l'éditeur Lamy, je n'étais pas acheteur et je ne connaissais pas le prix des produits. La négociation et l'achat sont souvent dans les universités deux opérations effectuées par des personnes différentes. Lors de ces premières négociations pour des éditions en ligne, le groupe de réflexion s'était donné pour mission de définir une stratégie vis-à-vis des éditeurs. Ce n'est qu'ensuite que la question des prix a été abordée. Très rapidement les éditeurs ont compris qu'ils avaient en face d'eux une clientèle potentielle de soixante-huit sections de droit en France et que s'ils proposaient un prix intéressant, ils pouvaient remporter le marché.
 

Comment est perçu le négociateur ?

Pour les bibliothécaires le négociateur est perçu comme leur représentant auprès des éditeurs. Comme celui-ci connaît parfaitement les contenus des produits, il fait effectivement, en quelque sorte, le travail d'un éditeur en faisant connaître aux bibliothécaires les apports de chacune des bases de données, des cédéroms ou des sites, les réponses apportées par chacu d'eux à un type de public et la valeur ajoutée par les éditeurs pour un prix donné. C'est ainsi que j'ai été amenée bien souvent à dresser des tableaux comparatifs pour mes collègues.

Par ailleurs, comme les éditeurs connaissent mal le milieu de la documentation universitaire, ils pensent qu'elles se bornent à essayer de minimiser au maximum leurs dépenses. Il faut donc leur faire connaître le mode de fonctionnement de ces bibliothèques. Il faut également leur rappeler qu'elles sont pluridisciplinaires et que le Droit n'est qu'un domaine parmi d'autres, que bien souvent les bibliothécaires ne sont pas des juristes et que les nouveaux supports sont encore souvent abordés avec
réticence. Il faut pourtant avoir une connaissance juridique minimale et beaucoup de bon sens pour répondre au public, pour savoir s'il faut fournir des textes, de la jurisprudence ou de la doctrine, pour savoir quel type de législation répond à un problème donné, et définir les produits qui répondent le mieux aux attentes d'un type d'usager.

Bien des réticences sont à vaincre de part et d'autres. Le négociateur est surtout un intermédiaire.
 

Comment se passe une négociation ?

Avec Lamy, la négociation a duré un an. Ce fut long mais elle a permis d'avoir des propositions intéressantes. Le négociateur tente d'obtenir les conditions d'utilisation les plus favorables. Après la négociation, un tableau récapitulatif est dressé. Les prix d'abonnement sont ventilés, suivant les cas, par type d'accès, nombre d'usagers, le plus souvent en fonction du nombre des étudiants en Droit inscrits à l'Université, etc. L'achat se fait par une bibliothèque acquéreur. Ce n'est pas le négociateur qui gère le budget.

Le nombre de mes interlocuteurs est faible car l'édition juridique francophone ne représente que dix éditeurs. J'ai noté aussi que si au départ, c'était les négociateurs qui contactaient les éditeurs. Aujourd'hui, ce sont les éditeurs qui contactent les bibliothécaires. Les prochaines négociations se feront avec les éditions du Jurisclasseur en 2005.

Quand une négociation est terminée, j'envoie les résultats sous forme de tableaux ave  une lettre explicative, ce qui permet aux universités de se situer par rapport à une tranche de tarification. Les établissements peuvent choisir une licence donnée et faire une commande directement à l'éditeur ou en renvoyant leur intention d'abonnement au négociateur qui le transmet à l'éditeur. Celui-ci est de toute manière informé de toutes les commandes qui ont été effectuées.
 

Quels sont les points clés d'une négociation ?

Les éditeurs tentent bien sûr d'obtenir le meilleur prix. Mais si celui-ci est trop élevé, ils n'auront pas de clients. Cependant la négociation n'est pas limitée au seul prix. Bien au contraire, c'est souvent le dernier point qui est examiné. Ce que l'on veut obtenir avant tout, c'est un accès illimité qui est réellement indispensable et un accès la totalité de la base. Tout aussi important est l'obtention d'une licence d'université. Celles-ci sont souvent très souvent éclatées (26 sites pour Paris 1). On ne peut donc pas accepter une licence sur site. Ceci commence à entrer dans les faits pour un bon nombre d'éditeurs.

Aujourd'hui, la négociation est axée sur le nombre d'accès et l'accès aux archives Il faut que l'on puisse avoir toujours accès à un fonds documentaire lorsque l'on arrête de payer l'abonnement pour une raison ou une autre. Ce que l'on veut et doit obtenir, c'est de dissocier le fonds en deux parties, ce qui permet d'acheter, une fois pour toute, un stock et de ne payer ensuite chaque année un abonnement que pour un flux. C'est le principe adopté par certains éditeurs nord-américains.

Pour les accès, des avancées aussi. Lamy a cassé les prix pour les bibliothèques universitaires. Il n'a pas proposé un prix unique mais un prix en fonction de la taille de l'université et du nombre d'étudiants et surtout du nombre de chercheurs en droit, permettant aux petites structures de pouvoir accéder à une information riche alors qu  les coûts élevés jusqu'alors les en avaient privées.

Quant aux autres améliorations à apporter, ce sont les utilisateurs qui les indiquent. Ce  peut être lors de rencontres organisées entre utilisateurs et éditeurs. Juriconnexion organise ce type de manifestations.
 

Les marchés publics ont-ils un impact sur les négociations ?

Les marchés publics sont incontournables pour une université. Lorsqu'il y a eu un appel d'offres, il faut passer par le groupeur désigné, ce qui est le cas quand un marché dépasse un certain seuil ce qui pose problèmes à de très grosses universités qui atteignent très vite ce seuil. Si l'on se trouve en deçà de ce seuil, on peut bénéficier du résultat de négociations et choisir son fournisseur. Sinon, un pourcentage doit être accordé par l'éditeur au groupeur, au détriment des négociations réalisées pour les universités car le groupeur prend sa marge diminuant ainsi les réductions négociées ou peut même refuser d'appliquer les tarifs négociés. Une solution consiste à passer par des marchés négociés mais, pour cela, il faut que l'éditeur d'attester ne pas avoir de revendeur.
 

Tous les négociateurs ont-ils les mêmes charges ?

Certains négocient pour un ou deux produits. D'autres, comme moi, négocient pour u  ensemble de produits d'un secteur.
 

Comment êtes-vous informés ou formés sur votre travail de négociateur ?

Les négociateurs du réseau Couperin sont informés lors de l'assemblée générale qui fait état des négociations en cours, de leur calendrier. Des informations sont données aussi sur la manière dont doit se dérouler les négociations. Une collaboration réelle existe aujourd'hui dans le réseau Couperin.
 

J'ai entendu parler d'une négociation entreprise avec Elsevier ...

Oui, Elsevier est l'un des principaux dossiers actuels. Des problèmes importants ont été rencontrés avec cet éditeur mais un travail remarquable a été mené par Couperin, en particulier par Geneviève Gourdet, accompagnée par les membres du bureau professionnel de Couperin lors de ses rencontres avec l'éditeur. Sachant qu'Elsevier est "dur en négociations", il est approché par une coordination des grands organismes de la recherche française que sont le CNRS, l'INSERM, l'INRA et Couperin.

Il a été créé une plate-forme de réflexion pour faire des propositions à Elsevier. C'est d'ailleurs un vrai travail de fourmi qui doit être mené et sur une période assez longue puisque ce travail est entrepris depuis le mois de mai de cette année. Mais un résultat devrait être obtenu prochainement (enfin, on le souhaite !).

Ceci a nécessité une mise à plat de la politique documentaire, des choix et des explications aux collègues.
 

Quelles sont les qualités d'un négociateur ?

Beaucoup de souplesse. On peut avoir en face de soi un éditeur qui se lance sur lemarché il faut savoir jusqu'où on peut négocier sans le mettre en péril. Celui-ci saura ensuite en tenir compte dans les négociations ultérieures. Pour Lamy et Lexbase, on est arrivé assez rapidement à obtenir un contrat pour l'ensemble de l'Université. Il ne faut pas oublier que le monde de l'édition juridique française est fragile car c'est un marché franco-français restreint, proie potentielle d'éditeurs étrangers et ils ne sont pas nombreux.
 

Les négociations ont-elles changé depuis quelques années ?

Les maisons d'éditions qui avaient une politique commerciale très offensive ont fait évoluer leur manière de négocier. Leur regard vis-à-vis des documentalistes a changé. Juriconnexion a sans doute joué un rôle important. C'est un groupe de pression efficace, tout particulièrement grâce aux personnes présentes au conseil d'administration de l'association. C'est ce que prouve aussi la liste de l'association où l'on constate que réagissent rapidement à la fois les éditeurs et les utilisateurs. Récemment une rencontre très fructueuse a eu lien entre le conseil d'administration et les équipes de direction d'une maison d'édition, sans les intermédiaires commerciaux de ces éditeurs.
 

enlightenedLe consortium français Couperin compte 174 membres (92 universités, 49 écoles supérieures, 20 organismes de recherche et 13 autres organismes). Il dispose d'un bureau professionnel et de deux départements, chargés respectivement des négociations documentaires et des études et prospectives.

 


Interview réalisée par Michèle Battisti

Rédigé par Michèle BATTISTI
Publication le 1er décembre 2004 - Mise à jour le 13 novembre 2008